lundi 7 décembre 2009

Tais-toi le vilain c'est moi qui raconte !



Dupontel. Albert Dupontel. Un mec à part. On l'adore, on le déteste, on adore le détester, on déteste l'aimer, bref, selon la formule consacrée, il ne laisse pas indifférent. Et lui, les formules consacrées, il abhorre. Comme tout ce qui est consensuel. Dupontel, c'est une espèce d'empêcheur de tourner en rond, de penser réchauffé, un réveil-malin qui vous arrache avec coeur du sommeil dans lequel trop d'habitudes ont plongé nos esprits, pourtant encore si rebelles hier.

Rebelle, l'étiquette lui va forcément bien. Il la cultive tellement. Même si, forcément, il s'en défendrait si on lui faisait remarquer. Rebelle, comme sa façon de ne jamais être à l'aise sur un plateau télé, d'envoyer sur les roses un journaliste qui ose vouloir l'entretenir en avouant qu'il n'a pas eu le temps de voir le film. Rebelle comme ses sketches, qui l'ont révélé, et comme sa curieuse vision qu'il en donne aujourd'hui. Il en parle comme d'une période alimentaire, dans laquelle il ne prenait pas forcément un plaisir énorme.

Hyper frustrant pour ceux qui ont pleuré de rire devant sa générosité comique, une générosité jamais vue, physique et comique, à l'écriture aussi fine qu'acide, à l'esprit vif et clair. J'ai été un de ceux-là. Le bac, 30 millions de mamies, la mort, Burt le super flic, les pourris d'or, le F demi, Rambo, puis "les sales histoires" sur Canal, avec son pote Vuillermoz, c'était des fous rires comme on n'en avait plus connu depuis Coluche. La cassette vidéo de son premier spectacle, j'ai dû la voir 48 fois, avec des amis différents, ou les mêmes, et à chaque fois, c'était l'occasion de se délecter de ses petites phrases, de ses tics, de ses inventions, à chaque envolée. Son deuxième spectacle, avec l'inoubliable casquette géante de Burt le supeeeer flic, il l'a rôdé sur des scènes estivales, dont le théâtre de la mer, à Sainte-Maxime, à la toute fin des années 90. On était dans les premiers rangs, tous les aficionados des Issambres, où on passait tous nos étés, j'en avais convertis quelques-uns, il n'avait pas intérêt à se planter Albert, je l'avais vendu comme personne ! Et c'était du caviar...

Ses répliques ont été les nôtres, ses mimiques aussi, ses grimaces, sa gestuelle, pendant longtemps. Plus tard, quand il a réussi, avec Bernie, j'avais été déçu de voir avec quel dédain il traitait cette période, qui l'avait vu exploser. Il en parlait comme d'une obligation, comme si il s'excusait d'avoir fait ça, pour pouvoir enfin tutoyer le vrai monde de la comédie et du cinéma. Je trouvais que c'était un manque de respect pour ses spectacles d'alors. J'ai vu Dupontel soudainement prétentieux, et son cinéma aussi, un peu malsain, comme Bernie ( du culte, mais du discutable aussi, sur le fond) même si je me suis bien marré. Je trouvais qu'il était un peu violent, mais violent aigri, quand dans ses spectacles, je le trouvais violent poète, violent intelligent, violent dans l'esprit dénonciateur, comme Coluche, encore une fois.

Les films qui ont suivi, la maladie de Sachs, le Créateur, Enfermés dehors, n'ont pas contribué à me ramener vers la sympathie que j'avais pour lui. J'en avais toujours, énormément, mais je ne voyais plus que sa prétention rebelle, sa générosité bafouée. En fait, en avouant qu'il ne s'éclatait pas pendant sa période music-hall, c'est comme s'il m'avait volé ce qu'il m'avait donné. Et je crois que je lui en ai voulu pour ça. Jusqu'à la claque, très récente, et très forte, qu'il m'a mise avec "Deux jours à tuer". Quelle claque ce film... Le scénario comme sa prestation, du grand art. Et enfin, "Le Vilain" que je vais voir un peu par hasard au cinéma, parce que l'autre film était commencé, et là, je retrouve le Dupontel des spectacles, lunaire et attachant, malgré son inextinguible soif de violente rébellion. Vous avez aimé "le bac" ou "Burt", vous adorerez "le vilain".

Et pour en savoir un peu plus sur Albert Dupontel, lisez cet excellent article, dans le cadre de la série "Un cinéaste au fond des yeux", dans laquelle Télérama pose régulièrement les mêmes questions à un cinéaste différent :

http://www.telerama.fr/cinema/questionnaire-albert-dupontel-au-fond-des-yeux,49768.php

Avec notamment cette réponse à la question "D'où vient votre envie de faire des films ?" qui résume assez bien le personnage :

- "Une peur panique d'avoir vécu sans en informer les autres"

Une réponse que j'aurais pu faire mienne.


Franck Pelé

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