vendredi 30 janvier 2009

"Les bras m'en tombent" Saison 2 par Denis Parent

Au coeur de l'âge d'or de Studio, une plume du même métal entamait une chronique devenue culte pour les lecteurs fidèles que nous étions, "Les bras m'en tombent", écrite par Denis Parent, journaliste fondateur, devenu maître réalisateur et écrivain (son dernier ouvrage "Perdu avenue Montaigne Vierge Marie" vient d'être publié). Je publie ici, avec son autorisation, la première chronique de "les bras m'en tombent'', saison 2, visible sur Facebook, sur la page perso de Denis. Un bijou de petite attaque ciselée, trempée dans l'acide, contre "Monsieur ED", l'épicier capitaliste qui s'est payé Studio pour faire joujou avec ses tableaux excel... A savourer lentement.


"Je reçois Studio magazine tous les mois, c’est un privilège d’ancien de la maison, un peu comme les retraités de la SNCF bénéficient de quelques kilomètres de ligne. Et en ce début d’année j’ouvre la première livraison pour apprendre, effroi, que c’est la dernière. Fini Studio Magazine le journal que Esposito, Lavoignat et quelques autres (dont j’étais) inventèrent au début de 1987. Sonnerie, lever du drapeau, clairon, le dandy médiatique du cinéma français n’aura pas vécu 22 ans. Et qui vient annoncer la funeste nouvelle aux familles éplorées ? Un monsieur dont le nom nous était jusque là inconnu et qui nous signe une sorte d’éditorial en page 6. Il se nomme Editeur. C’est en tout cas comme cela que le papier est signé. On suppose que monsieur Editeur est en noir et en sanglot, et qu’il a été nommé là pour expédier les affaires courantes, solder les comptes et partir le dernier en fermant la lumière. Mais bizarrement il est content monsieur Editeur, il exulte même, il est, à sa manière, émoustillé, il trépigne de joie avec ses petits poings. C’est qu’à lire sa prose on comprend que Studio a été tué et qu’il est l’assassin. Disons qu’il est l’homme de main d’un Grand Groupe de presse s’étant porté acquéreur (comme la formule est jolie) du titre il y quelques années. Mais, rassurez-vous bonne gens, cochons de lecteurs, Mossieur Editeur a trouvé une solution pour vous ressusciter Studio Magazine. A sa place il met un imposteur nommé « Studio Cine Live ». Et là on découvre le pot aux roses. Editeur et ses copains du Grand Groupe ont racheté deux titres cinéma et pratiquent là le sport international des capitalistes bienheureux : la fusion acquisition. Eh les copains si qu’on prenait deux journaux de cinéma qu’on les rachetait et qu’après on en faisait qu’un seul ? Hein y serait pas trop content l’actionnaire ? Sauf que un plus un ça fait rarement un dans l’arithmétique médiatique. Nos joyeux comptables devraient savoir ça. Si je suis lecteur de Ciné Live qui est plutôt ricain, action, effets spéciaux et djeune j’ai pas forcément envie de lire Studio qui est plutôt français, cinéma de mœurs, pour adulte. Et réciproquement. J’imagine que dans leurs bureaux d’étude marketing tous ces pète-la-joie fusionneurs acquérants ont du faire des projections (pas de films, hein) et que je te fais une courbe, que je retiens un et le carré de l’hypoténuse, moins la ménagère de quarante quatre ans égalent : on va se bourrer. Mais non monsieur Editeur fusant-acquérateur, tu vas pas te bourrer, pleins de lecteurs lambda comme moi vont l’avoir saumâtre et le sentiment qu’on les prend pour des bourrins. Ils iront lire ailleurs pour voir si t’y est pas. Car dans toute cette affaire, et ce malgré ma sentimentalité d’ancien journaliste, ce qui compte ce n’est pas tant qu’un journal change. Les journaux naissent vivent et meurent, ce sont des organismes vivants. Ce qui compte c’est de dire la vérité aux lecteurs. Là monsieur Editeur faisateur acquéritant, dans une envolée lyrique et piètrement rédigé (continue à faire les éditoriaux Ed) veut nous faire croire que ça va être ‘achement mieux maintenant qu’il est là et qu’avant Studio et Ciné Live, avant que lui Ed ne descende du ciel, c’était des étrons en barre. Florilège de citations (les enfants peuvent rester, tout est facile à comprendre) : « Tout change, tout se bouscule, tout s’accélère et vos passions évoluent. Normal » C’était Ed le sociologue, celui qui pense pour nos passions et définit la normalité. « Faire le plus beau, le plus dense, et le plus complet des magazines » : avant c’étaient des feuilles de choux grasses. « ayant tout simplement pour unique sujet et objet journalistique : le cinéma sous toutes ses coutures ». C’était Ed le couturier en journaux qui nous informe que nous, benêts, jusque là on lisait sans s’en rendre compte des canards sur l’élevage des truies. Mais le meilleur est à venir. Le meilleur c’est la vision du monde d’Ed à côté de qui Cioran est un nain : « le cinéma est une formidable machine à rêve mais aussi un regard posé sur le monde à qui il arrive souvent de dire des choses importantes sur nos sociétés ». Applaudissements, standing ovation, tu devrais faire photographe à l’Elysée Ed, t’es très bon pour les clichés. Voilà à quoi nous en sommes rendus. De tous temps des créateurs ont agité leurs cornues, lancé une machine et derrière, inévitablement, des blouses grises sont arrivées pour leur confisquer le jouet et se faire passer pour l’inventeur. D’ailleurs ils disent nous, mais il faut lire « Je » car ils ont un sens aigu de la propriété. Mais après, ça ne rate jamais, les blouses grises cassent le jouet. Car n’est pas inventeur qui veut. N’est pas journaliste non plus. Ne peut prétendre parler du cinéma à sa guise non plus. Alors qu’est-ce qu’on souhaite à le fusionnateur acquéritant ? Celui qui a des choses importantes à dire sur nos sociétés ? On lui souhaite qu’un beau journal de cinéma naisse entre les mains d’u une bande de jeunes qui vont lui mettre sa mère. Sacré Ed, il me rappelle un vieux slogan : « l’épicier discount »". Denis Parent

P.S. : Vous pouvez retrouver la chronique "Les bras m'en tombent" de Denis Parent, sur sa page Facebook (http://www.facebook.com/home.php?#/profile.php?id=778799570)

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