lundi 30 mars 2009

Les bras m'en tombent - par Denis Parent

Je suis un membre éminent de la SACD, cette merveilleuse institution qui gère les droits des auteurs. A ce titre je reçois périodiquement un bulletin qui m’informe de la vie des gens de lettres (j’adore cette expression, dommage qu’on ne l’applique pas à d’autres professions, les gens du flingue, les gens de la seringue, les gens du cadavre, etc). Evidemment en ce moment ça s’agite ferme rapport à la loi Albanel concernant les téléchargements. Je suis sans doute un peu obtus mais, bien qu’assez isolé, je ne comprends toujours pas en quoi il est normal, progressiste et républicain de défendre le téléchargement gratuit. Mes copains musiciens adorent mettre leur musique en ligne gratos. Ils m’expliquent que c’est la grande revanche sur les méchantes majors, ces salopards de capitalistes suceurs de talent. Et quand je leur demande comment ils comptent gagner leur vie, ils m’expliquent : pas de problème on va faire des concerts et ça va stimuler le spectacle vivant. Sauf erreur de ma part pour faire des concerts faut une salle, une programmation, une sono, des techniciens, une billetterie, des pompiers et tout ça se paie. Les majors du disque meurent, mais les tourneurs vont s’enrichir. D’autres majors pointent à l’horizon. Côté cinéma c’est panique à bord : plus ça va, plus la technologie en aura sous le capot pour charger des films le temps d’aller pisser. Et là, on pourra pas prendre la route pour se produire sur scène et glaner quelques billets à la salle des fêtes de Shtroufmolle (Aisne). Essayez donc de reproduire sur scène le final de Batman ! Quand je dis cela à mes copains musiciens ils répondent, emmerdés : « c’est vrai les mecs du cinéma vous êtes mal ». Ce qui me tue c’est que ça ne les ébranle pas. Parlez-moi de la solidarité des artistes… Côté peinture et sculpture, grosse sérénité : on a pas encore trouvé le moyen de télécharger les œuvres, et, de vous à moi, c’est pas demain la veille. Ainsi tous les créateurs ne sont pas égaux devant le pillage. L’opinion répandue veut que l’audiovisuel étant téléchargeable, il est normal qu’on télécharge. Le droit d’auteur, mon cul. C’est le réflexe des ados qui me regardent comme si je soutenais que la terre est plate quand je dis qu’il est immoral de télécharger gratuitement. Ils ne se posent même pas la question de l’éthique, ils le font ben quoi, parce que c’est possible. A ce compte là si ce qui est techniquement faisable est légitimement moral je vais buter mon voisin puisque mon flingue fonctionne. Chez les adultes c’est toujours la position politique qui justifie l’acte : « les masses doivent avoir accès gratuitement à l’art » (c’est la lutteuuu finaleuuu !). Est-ce que j’ai une gueule de Louvre les mecs ? Est-ce que je suis un musée national ? Et même dans les musées vous payez ! Les mecs, artiste c’est un métier. Une profession libérale dans son genre. On bosse tout le temps : on dort avec, on fait pipi avec, on a la grippe avec, on fait l’amour avec. C’est plus qu’un boulot à plein temps, c’est un boulot à vie. Pas qu’on s’en plaigne, mais si l’on devait établir un tarif horaire, on serait blindé. Hélas, l’état de la société, et la place de l’artiste dans la société font qu’il faut être un peu célèbre pour gagner un peu d’argent. Et pendant toute l’évolution de l’œuvre, pendant toute la maturation de l’artiste, pas un fifrelin qui tombe. Il y a bien quelques subventions, sponsors et mécènes mais au regard de l’immensité de la tache assurée par des milliers de créateurs (plus ou moins talentueux mais c’est un autre débat) ça représente quelque chose comme une quête à la messe de 11heures pour combler le déficit de la sécurité sociale. Alors lâchez un peu de thunes quand vous vous appropriez une œuvre. 1 euro pour une chanson de Baschung, c’est pas cher payé. Quelques euro pour un film de Blier ou de Scorsese, c’est carrément donné. Ils n’en ont pas besoin ? Aujourd’hui peut-être, mais ce que vous payez maintenant c’est ce qu’ils ont travaillé il y a trente ans…

Denis Parent (tous ses billets intitulés "Les bras m'en tombent" sont visibles sur sa page Facebook).

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