Lisez cet excellent édito de Christophe Barbier, paru dans l'Express, à propos de Michael Jackson :
Une fin tragique n'est pas une fatalité pour une star, elle est une nécessité. De l'accident de James Dean au collapsus fatal de Michael Jackson, en passant par les barbituriques politisés de Marilyn Monroe, la mort violente est une mort naturelle pour ceux dont la vie fut de bruit et de lumière. Une vraie star ne peut vieillir "pépère", il lui faut la tragédie en point d'orgue pour continuer d'être ce qu'elle fut et éviter la seule déchéance : celle du has been. Ainsi la mort est-elle non pas la fin d'une carrière, mais le début du mythe.
De Michael Jackson les exégètes diront l'apport réel à l'histoire de la chanson populaire, entre invention du clip vidéo et révolution de la danse de scène, et au-delà du cocktail d'usage : sex, drug and pop music. Mais, d'ores et déjà, il apparaît en sa gloire et en ses misères comme un résumé de l'époque qu'il traversa, cet entre-deux-siècles de révolutions presque illisibles, cimetière de certitudes et berceau de brouillards, qui mena du vinyle au MP 3, des idéologies garanties à la dictature du doute, sans prendre le temps de rien expliquer aux humains bringuebalés.
Il y avait chez Michael Jackson, d'abord, le culte malsain de l'enfance, celle qu'on recherche en soi et celle qu'on idolâtre en bêlant. Ce travers commence dans les peluches et s'égare parfois dans les tripotages. Heureusement, Dutroux ne se cache pas toujours derrière Winnie, mais ce penchant de l'époque trahit un monde qui ne veut pas grandir, refuse d'être adulte : il pense ainsi demeurer innocent, quand il n'est qu'irresponsable.
Ce travers a mené le chanteur à la voix prépubère vers une sexualité indéterminée et une androgynie pétrie d'artefacts. Ne plus avoir de caractère, d'identité, de genre : la mondialisation a produit aussi ce désir collectif d'hybridation maximale, d'être un peu tout le monde pour être quelqu'un, d'être compatible avec tous afin de compter pour un autre. Ainsi préfère-t-on se transformer plutôt que s'assumer. Déjà, l'ère post-Jackson est ouverte : Internet glorifie le spécifique et permet le plébiscite de l'atypique.
La trajectoire de Jackson, ce fut aussi la glace de la solitude derrière l'illusion de la communion : les fans clonant leur idole n'ont pas empêché son désarroi. Xanadu s'appelait Neverland, mais le vide était le même dans le coeur de Citizen Kane et dans celui de King Michael, et sans doute une luge brûle-t-elle aujourd'hui, quelque part à Los Angeles... Cette solitude explique aussi l'émotion mondiale, excessive et spontanée : comme pour la disparition de lady Di, les larmes partagées offrent à des millions de solitaires la chaleur d'un chagrin.
Enfin, n'est-il pas cruellement symbolique qu'un Noir qui a tout fait pour devenir blanc meure l'année où un Noir qui assume de l'être est porté au pinacle de la puissance mondiale ? L'oraison funèbre de Michael Jackson était un peu, déjà, dans De la race en Amérique, discours fondateur de la campagne de Barack Obama.
De l'artiste disparu, il demeurera un pas, le "Moonwalk", qui permet de reculer en donnant l'impression qu'on avance : ironique résumé de la fin du xxe siècle... Puisse le prochain King inventer une danse qui aille vraiment de l'avant, sans appréhension ; et l'appeler "Earthwalk".
Christophe Barbier - L'Express
excellent!!
RépondreSupprimer