lundi 20 juillet 2009

Dis papa, c'était mieux avant ?

Un ami, Fred, qui vit à l'autre bout du monde, en Nouvelle-Calédonie, nous écrit après le départ de sa mère, venue de France pour voir son fils et sa petite-fille. Un mail qui a donné lieu à une jolie et riche conversation, entre Fred, dentiste, Elise, meilleure amie, et dentiste aussi, et moi, pas dentiste, mais amoureux des racines. Une conversation de trentenaires, voire pas loin de quadra (chuuuut) que je partage avec vous ici.

Fred :
"J'ai raccompagné maman et Alain hier à l'aéroport, difficile moment pour mamouchka... Je dois être bien insensible ou égoïste mais rien, pas de coeur serré, juste quelques larmes en voyant la peine de maman, mais vite séchées."

Franck :
Tes mots ici montrent que l'expression de ton coeur n'est pas forcément liquide... ;-) Ta sensibilité doit être un mélange de retenue et de non-dits, peut-être culturel, au niveau de votre famille, voire de toutes les familles, parce que c'est quand même très souvent le cas.
Je me rends compte que je suis extrêmement fermé au niveau de mes émotions avec mes parents, avec ma mère, on s'adore, mais c'est toujours sur un fil, assez conflictuel, depuis le divorce surtout, j'avais 20 ans, et j'ai un peu remplacé le père, ce qui a aussi nourri le conflit. J'attends beaucoup de ma mère, et je ne vois pas toujours venir, de mon père pareil, et... pareil. Même si, côté paternel, son manque de psychologie, ou de s'en servir, a fait que je me suis fait une raison. J'ai souvent trouvé une différence de traitement avec ma ma soeur aussi, et on a parlé de jalousie, là où il n'y avait que lucidité... Pardon, je parle de moi là... Vous me connaissez, histoires à tiroirs !

Mais je parle de moi pour mieux parler de toi. Cette lucidité dont je parle, et qui me glace parfois, ou m'empêche de dessiner les sourires ou les fous rires de l'époque insouciante, je pense que tu as la même Fred. Tu es lucide sur ce qui change, sur tes parents, sur leur histoire, sur leurs changements, sur les tiens, sur vos différences, sur le chemin qui, parfois, paraît très court pour les annihiler (les différences), et inéxorablement impose sa cruelle longueur.

Fred :
Je suis mi-chaud mi-froid sur le séjour. Première fois que nous passons autant de temps sans nous malmener (donc grosse victoire) et en même temps nous sommes différents sur tout ou presque. L'amour, la vie professionnelle, la vie tout court, les gens, la politique.... Bref j'en ressors pas du tout enrichi. Je ne parviens pas à comprendre comment s'est effectué ce glissement, ces phénomènes qui nous amènent maintenant à parler deux langues différentes.


Franck :
Je dirais que c'est le temps. Et l'éducation aussi, la leur, qui a fait qu'il sont ces êtres-là aujourd'hui, ces caractères-là, et la tienne, qui a, conjuguée à l'histoire de ta vie, fait que tu es cet homme-là aujourd'hui. Et quoi qu'on dise, le temps se fige plus en nous qu'il ne passe en réalité, et c'est ce qui fait les écarts générationnels. Ma grand-mère aujourd'hui, c'est une empreinte des années 50 - 60 - 70, qui s'est adaptée à nos jours, ma mère, est le fruit des années 60 - 70 - 80 et moi, je serai toujours celui des années 80 - 90 - 2000, même si toutes celles que je vivrai derrière m'apporteront des choses, me changeront un peu, voire beaucoup. Manon, en étant le témoin des années 2020 - 30 - 40, me trouvera forcément parfois en désaccord avec elle, avec la mentalité de son époque. Je dis parfois, parce que, comme vous tous, je ferai tout pour m'adapter et rester lucide, là aussi, sur les changements d'époque, de mentalité, de culture, de langage, d'intuition. Et même si, avouons-le, nous sommes une génération exceptionnelle concernant l'introspection, la psychologie et la remise en question ;-) , nos enfants nous tailleront probablement les mêmes costards que ceux qu'on taille à nos parents, et à tous ceux qui ne comprennent pas. Ces vieux cons, et ces jeunes cons... Z'avez remarqué comme le top c'est d'être quadra ? ;-)

Fred :
Je m'étais promis d'être exemplaire, irréprochable, genre au dessus de tout et rien, j'ai tiqué sur chaque petite réflexion, je me suis senti visé (?) sur pleins de sujets, bref j'ai été bien en deçà de mes aspirations.

Franck :
C'est une nature ça ! Tu peux rien faire contre une nature généreuse et transparente dans son expression et son amour ! Son amour des autres, de la vie, et... de sa philosophie, choisie parce que mûrement réfléchie ! A ça, ma belle-soeur me répondait, mais Franck, tout le monde ne peut pas penser comme toi... ;-) Les gens ne pensent pas tous valider ce que tu as définitivement validé comme étant une vérité. C'est ta vérité. ...


Fred :
A midi j'ai matté un mélo américain, 'Un jour peut-être', les 20 dernières minutes. Ca m'a suffi pour pleurer un coup. J'adore l'amour, j'adore regretter quelqu'un, j'adore la joie des premières rencontres, le stress aussi. J'ai aimé ce film pris au vol.

Franck :
Bah ça m'a donné envie tiens ! J'aime bien ces films pris au hasard, tu regardes, et tu kiffes. Et comme je te comprends quand tu dis que tu adores l'amour, regretter quelqu'un, la joie des premières rencontres... La nostalgie, le temps qui passe, et qui laisse ses plus belles traces... Je suis en train de lire "La bande à Gabin", quel kiff !! Ca parle d'amitié, de la vraie, la profonde, la costaud, la cultivée, celle que je cherche et que je ne trouve plus aujourd'hui, ou très rarement. Celle qui unissait Gabin, Lino, Audiard, Blier, Carmet, celle du plaisir de la table et du vin partagé, du plaisir de recevoir et de la personnalité généreuse, celle du mot d'esprit qui fuse en même temps que le coup de fourchette, celle du respect des valeurs et des terroirs, tiens... encore des mecs qui aiment les histoires à terroirs...

Elise :
J'ai à peu près mille trucs à dire sur ce que t'as dit à Fred, Franckichou mais je ne sais pas par où commencer, l'essentiel étant que je crois qu'on a tous en nous cette lucidité que rien ne va dans ce monde qui tourne à l'envers, que les gens autour de nous sont pas forcément hyper épanouis, qu'on a des différences énormes avec ceux qu'on aime, qu'on se demande même parfois si on les aime vraiment, qu'on vieillit en perdant l'insouciance des enfants tout en regardant avec admiration l'insouciance de nos propres enfants, que blablablabla, MAIS en apprenant à la dompter, cette lucidité, je pense qu'on arrive alors à simplifier le bonheur.

(j'ai l'impression que justement, en grandissant avec lucidité, malgré parfois des moments relous, à me suffire de plus petits trucs pour me sentir heureuse, parce que moins idéaliste sur mes rapports avec les gens par exemple, moins en attente, donc moins susceptible d'être déçue, mais mieux vivante dans le présent, et vraiment heureuse pour de vrai dans ces moments, et dans le fond aussi. Après, je peux faire des théories sur les gens, où je suis déçue, où je "vois" négatif, mais j'arrive de mieux en mieux à faire pencher la balance vers le +)

Quand t'es petit, tu vois tout ce qui est chouette, pas trop ce qui déconne dans le monde ou dans ta vie (enfin ça dépend des enfances évidemment); quand tu ris tu ris vraiment, quand tu pleures, pareil.

Puis plus tu grandis, plus tu t'aperçois que le monde est pas tout rose, que y a pas que des gens qui s'aiment, qui s'entendent bien, qui sont heureux; tu t'aperçois que rien n'est simple. Alors quand tu ris, tu ris mais tu ris pas toujours "comme avant", un peu. Et puis tu pleures, mais tu sais maintenant que tu vas continuer à avancer, même au moment où tu pleures.

Et puis donc,en vieillissant, j'apprends qu'avec cette impression que rien n'est simple, je peux quand même rire vraiment, pleurer vraiment, sans être anesthésiée, au contraire, que cette lucidité peut me faire simplifier le bonheur, les bonheurs, quoi, simplifier aussi les rapports avec les gens, relativiser, mais sans me désensibiliser de tout, au contraire. Vivre simple mais plus intensément...

Franck :
Je comprends que ça te hérisse ton poil de témoin officiel du "bonheur du monde, toujours vivant", mais je te promets que ça va au-delà, pour moi, de cette théorie, que je partage par ailleurs ! Je me suis évidemment déjà posé cette question en ces termes, pris ce recul, tu imagines bien, pour essayer de relativiser le tableau parfois sombre que je peins de l'ambiance de ce siècle. Et évidemment, je suis à fond d'accord sur la rositude globale de la vision enfantine et insouciante d'un monde pourtant déjà dur, et sur le fait que le mûrissement de cette vision, conjugué à une certaine redondance des expériences de la vie, puisse faire un poil passer les couleurs vives imprimées sur nos souvenirs d'enfance.

Pour autant, j'ai mille exemples de comportements, d'attitudes, d'expériences là encore, qui expriment la morosité ambiante. Une morosité que je n'ai pas inventée, et qui n'est pas que le fruit des médias. C'était mieux avant pour une raison toute simple, on n'avait pas autant d'expérience de la vie heureuse, insouciante, chaleureuse, on ne connaissait pas aussi bien l'autre,son voisin, son intimité, on ne savait pas ce qui se passait en Australie ou en Chine, il y avait du mystère. Et c'est là le changement majeur. Il n'y a plus de mystère. Ou beaucoup moins. Avant, j'en ai déjà parlé, tu partais en Australie en voyage, et c'était une aventure extraordinaire, aujourd'hui, tu cliques sur internet, tu prends ton billet, tu filmes des gens avec ton portable, qui ont le même que toi, tu te promènes dans un centre-ville où il y a des Mc Do, des Zara, des Adidas Store, comme chez toi, au milieu de gens qui sont inscrits sur facebook et qui flippent des intégristes comme chez toi.

On n'avait pas autant d'expérience de la vie heureuse, insouciante, celle qui est née après-guerre, époque bénie de la reconstruction, de tout, de la vie, du bonheur, de la relation entre les gens, qui ont souffert, perdu les leurs, eu peur, très peur. Avant, les gens étaient sur le perron, toujours, devant chez eux, ils saluaient les voisins, discutaient longtemps, aujourd'hui, ils sont derrière chez eux, à l'abri des regards, dans leur jardin. Ou à l'intérieur. L'heure est au repli sur soi, et en même temps au voyeurisme social, autre paradoxe du siècle. Mais il n'y a plus ce respect de l'autre, plus beaucoup, beaucoup moins qu'avant (et oui, encore...), qu'on trouvait dans la bande à Gabin justement, dans ces mecs, ces Audiard, Carmet, Blier, qui jouissaient de se retrouver pour partager le plaisir de la table, de la réunion amicale et de la joute verbale. Il n'y a plus cette vraie demande de l'autre, ce besoin de découvrir l'autre, de l'écouter, de s'en nourrir.

On n'avait pas autant d'expérience de la vie heureuse, chaleureuse, aisée, insouciante...

Et puis tant de choses avaient meilleur goût. Ne me dites pas que les salades, les fraises, les tomates, les fruits en général, ont autant de goût aujourd'hui que quand vous étiez petits ! L'économie galopante, mondialisante, globalisante, a tué le particularisme des cultures, des individus et du goût. Le monde est devenu un état avec des régions, qui différent plus par leur climat et leur fuseau horaire que par leur mode de vie, même s'il subsiste, et heureusement, quelques cultures vraiment différentes. Mais le système financier, qui a débouché sur la crise qu'on sait aujourd'hui, a détruit mille et mille choses sur son passage, depuis 50 ans. La nature, le goût, le mystère, et une certaine idée du bonheur. Et puis, tout a été fait, et plus on avance dans le temps, plus de choses ont été faites, c'est d'une logique implacable. Et le mystère se réduit d'autant.

Bien sûr, chaque enfant découvrira avec des yeux écarquillés ses révolutions à lui, numériques, magiques. Mais il ne découvrira pas l'automobile, les routes désertes, avec peu de voitures, où on pouvait rouler vite, boire cinq verres, fumer dans les restaurants, le premier pas sur la lune, le jazz à St Germain, le flower power des 70's, regarder Jerry Lewis remettre un César à Louis de Funès en direct, puis la magie des années 80 insouciantes, l'hystérie d'une demi-finale perdue de coupe du monde en 82, hystérique parce que jamais arrivés à ce niveau, puis celle d'une victoire dans cette même épreuve quelques années plus tard, dans une ambiance tellement magique, qu'elle semble avoir été la dernière du siècle, celle qui refermait le livre, en beauté, avant d'ouvrir le suivant, qui commençait par deux avions s'écrasant volontairement dans des tours pleines d'hommes.

Bien sûr, le 20ème siècle a eu son lot d'horreurs, et pas des moindres, mais les gens, il me semble étaient plus unis, plus ouverts, plus croyants, et je ne parle pas que de religion, mais aussi de ce fameux mystère, chacun conservait cette part de naïveté, d'insouciance, de pureté dans la réflexion et le comportement, que trop d'informations (médias, Net,...) et une certaine culture de l'égoïsme et de l'individualité ont jeté aux orties.

Ce siècle est piquant, on y voit davantage les épines, là où avant, on ne voyait que la rose.


Franck.

Et ses amis. ;-)

1 commentaire:

  1. la rose a cela de beau qu'elle sent bon, qu'elle est belle malgré ses épines, il suffit de bien leur faire face et de regarder là où on met les doigts... ;-)

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