dimanche 5 avril 2009

Interview de Depardieu - Mots choisis

Interviewé par Télérama le mois dernier, le Gégé se livre comme rarement. Qu'on l'aime ou pas, ou peu, ou plus, ses mots permettent de vérifier que la nature incroyable du bonhomme est toujours aussi vivante, quand sa carcasse et son énergie paraissent vieillir un peu. Voici quelques mots, extraits du magazine par mes soins, et retranscrits ici pour vous :

"J'ai une nature abondante parce que curieuse de tout. Je suis boulimique parce que j'aime la vie.Mais mon corps est trop encombrant parfois. Même si ça fait partie de mon tempérament, même si je m'y suis habitué parce que d'autres m'ont aimé et que ce corps-là, passable, finit par se mélanger aux choses. Quand je me sens trop lourd, "ecchymosé" de moi - comme après la mort de mon fils Guillaume - j'ai pourtant besoin de me mettre de côté un moment. D'autant que je suis un peu comme un cheval, je ne connais pas mes limites. Je n'ai jamais vraiment éprouvé mes limites. Je suis un enfant de la nature, , je n'appartiens à rien d'autre que la nature. J'ai poussé là, comme une mauvaise graine, une merde qu'un oiseau aurait laissé échapper de son bec."

"Mon père ne savait ni lire, ni écrire, il se prenait pour un Gitan. Le Berry, c'est un peu l'Afrique de la France, un pays de tribus, de gens forts et indépendants. Je ne me souviens ainsi d'aucun repas pris en famille à la maison. Jamais. Même tout petit. Nosu vivions séparés. Quand l'un de nous en croisait un autre en ville, il changeait de trottoir. C'était comme ça. J'ai longtemps regretté de ne pas être allé davantage à l'école, d'avoir traîné dans la rue dès 8 ans, d'avoir arrêté la classe à 12, et d'avoir pris la route dès cet âge. Je pense aujourd'hui que c'était mieux. Nous étions trop différents, en classe, on se serait moqué de moi et de ma famille. j'aurais été marginalisé, je n'aurais pas supporté, je serais devenu plus violent. Car je me suis toujours arrangé pour ne pas être rejeté. La société des années 50 le permettait, elle n'était pas si dure qu'aujourd'hui."

"Entre 13 et 15 ans, j'ai perdu peu à peu l'usage des mots, la parole. Je ne m'exprimais plus que par onomatopées. J'étais hyperémotif alors, et sans doute hyperactif. Il m'a fallu me réapproprier le langage, me réapprivoiser, phrase après phrase. En lisant à haute voix. j eme souviens que lire du Giono m'a beaucoup aidé. Et si je ne comprenais pas les mots, je les chantais. Je faisais parler le son. Une bonne diction entraîne forcément chez l'acteur le sentiment, affirmait Jouvet. C'est vrai. Il n'est pas toujours utile de comprendre ce qu'on dit."

"Guillaume avait les mêmes mots que moi, mais avec une grâce plus rimbaldienne. C'était un vrai poète, un peintre aussi, un artiste toujours en révolte. Jamais il ne m'a été aussi présent qu'aujourd'hui. Il est là. Partout. Il ne me quitte pas. Et là où il est, au moins, il n'est pas perdu. Guillaume avait une lucidité telle qu'elle lui rendait la vie impossible, et toujours il allait au pire. Je ne peux l'imaginer mort. Peut-être parce que la jeunesse est immortelle. Sur son lit de mort, il avait d'ailleurs ce visage plein de colère qu'il avait toujours. Les morts ont souvent un visage qui résume leur vie. Jean Carmet avait une figure pleine d'étonnement, comme mon père, Barbara, des traits lisses, soulagés, Claude Berri semblait pour la première fois apaisé et Pialat restait Pialat. Mes morts me nourrissent. La mort ne me fait pas peur, pas du tout. Elle fait partie de la vie. Mourir, c'est juste s'endormir. A 37 ans, Guillaume a vécu dix mille vies. Quant à sa rage à mon égard, à ce qu'il a écrit, ça lui appartenait. Sans doute ne se rend-on pas toujours compte, quand les gens vous aiment, de ce qu'on peut leur faire endurer quand on les blesse. J'aimerais dire, bien tard : je t'ai aimé. J'ai trop fait subir ce que je subissais."

"Je ne cours plus après la carrière. J'ai tout fait... Je n'ai jamais joué vraiment. Je suis une "nature", comme on dit. Pas un comédien. Ou alors je ne le fais pas exprès. Je me glisse juste dans les mots."

"La France des villes m'a déçu. La France qui pue. Mais pas la France profonde, celle des bérets et des baguettes, celle des gens qu'on dit butés, mes frères."


(Gérard Depardieu, interviewé par Fabienne Pascaud, pour Télérama.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire